lundi 20 janvier 2014

A pied par la Chine



Entre Hongqiao, Suzhou, Wujiang, le lotus bleu, Mandarin city, le JZ club, les tableaux, les rapports, les couches, les biberons, les accents, les gammes... La vie est bien dense et nous nous trouvons comme deux fétus de pailles, portés par le flot d'un monde vertigineux...
Le week end, la cellule familiale se recentre et s'abreuve d'amour pour affronter la semaine qui vient.
Hélas, cela nous laisse peu de temps pour nous épancher à la narration de nos vies passionnantes, et les rares missives ou visio-communications que nous partageons avec une poignée d'élus sont tout ce qui transpire de ces trépidations.
Mais ces temps-ci, assistant avec consternation au verbiage navrant qui vous inonde, à ces ineptes histoires de quenelles ou ridicule commérages de coucheries présidentielles, nous nous refusons à rester spectateurs impuissants.
Voici donc, amis, la preuve que vous n'êtes pas seuls et qu'en de contrées lointaines, des âmes fraternelles vous sont liées.
Que cette courte nouvelle nous permette de les joindre et vous fasse partir vers l'est, en ce lointain pays, objet de tant d'attention et de fascination qu'est la Chine...

...Chaque année, il faut trouver une excuse pour se défiler de ces corvées "corporate" de dîners annuels. Jusqu'alors, nous nous étions montrés inspirés et avions pu nous tenir à l'écart de ces gueuletons populaires destinés à griser le prolo, moment de consécration d'une année de labeur, prélude au grand break du Chinese New Year...
Sollicitée, la belle Irina m'avait toutefois proposé de l'accompagner samedi soir. J'avais accepté, pensant qu'une virée au côté d'une telle femme ne pourrait qu'être un plaisir. De plus, après les refus consécutifs des dernières années, notre absence eût été un affront et il fallait cette fois s'y résoudre.
Nous nous préparâmes donc, vers cinq heures et demi. Irina s'était vêtu avec cette simplicité qui laisse s'exprimer son charme pénétrant. Je lui donnais le bras et l'emmenai vers la station de métro.

Nous arrivâmes avec une demi-heure de retard vers 6:30 dans une salle comble. 800 personnes y étaient déjà attablées. La valse des mets avait commencé et les serveurs, courraient entre les convives apprêtant leurs baguettes ou se pressant face à l'estrade, brandissant leur i-téléphone pour ne rien oublier du spectacle qui s'y déroulait.
Nous saisîmes immédiatement que ce serait pire que ce à quoi nous nous attendions.
La vaste salle appartenait à un complexe dédié à ce genre d'évènements. Une odeur d'alcool et de tabac imprégnait la moquette usée et, réglés trop fort, aboyaient des amplificateurs bon marché permettant à l'assemblée de profiter de l'animation.

A cet effet, deux couples d'animateurs professionnels parés de tissus synthétiques écarlates et nœuds papillons assortis se partageaient le micro, annonçant de leurs voix nasillardes les vainqueurs de la tombola ou les divertissements préparés par chaque département qui rythmaient les agapes.
Tour à tour exotiques, aguicheuses, créatives ou bon-enfant se succédaient donc sur scène des chorégraphies scandées par la musique qu'affectionne la plèbe.

Nous fûmes placés jouxtant la table d'honneur et nous plûmes à penser que c'était là le fait de notre manque d'exactitude et qu'arrivés à temps, nous y aurions siégé sans aucun doute.
Quelques poignées de main et sourires forcés firent office de présentations.

Du fait de l'amplification sonore, à mon avis non loin du seuil de danger fixé par l'UE, les échanges se réduisaient à de sempiternels toasts, comme c'est de coutume dans les banquets en Chine, et à des banalités stériles type:

-  "ça va ?"
-  "Super !"
-  "Alors, ça se passe bien ?"
- "Génial !"
-  "Y'a du monde hein ?"
-  "Oui, en effet !"

Parfois empreintes de lyrisme sentimental (feint ?):
-"J'ai vraiment la sensation que dans cette boîte, on est comme une grande famille".

Ou même de magnanimité généreuse lorsque, comblés d'honneur, nous eûmes comme chaque table la visite du président-directeur-général-propriétaire qui s'attarda à nous évoquer cette coutume Bangladeshoise (dont je n'ai jamais entendu parler auparavant), deux spécimens étant à notre table.

- "Tu sais que lorsqu'ils se marient ils offrent un voiture et la coupent en trois pour en donner un tiers aux pauvres ! Imagine, c'est comme si tu avais 1 million et que tu donnais 300 mille. C'est beau non? Je trouve ça vraiment grand".

Bien que rompu aux néologismes colportés dans les pays en développement, je dois avouer ne pas avoir totalement saisi la portée de cette sentence.
J'imagine que la voiture n'est pas réellement "coupée" et que c'est une image.
Et quand bien même ça le serait, je me demande ce que font les mariés qui ne peuvent s'offrir le tiers manquant de la voiture, j'imagine qu'ils peuvent opter pour un scooter ou un frigidaire.


Le clou de la soirée nous tomba dessus alors que nous étions dans les trois derniers quarts d'heures et que je me tenais près d'Irina, la tête entre les mains, juste avant qu'elle ait l'honneur d'être appelée sur scène pour tirer le nom des avant-avant-derniers vainqueurs.
Un individu à moitié ivre trébucha et nous tomba dessus avec son verre de vin dont le contenu se retrouva partie sur mes cheveux partie sur la belle robe neuve d'Irina.
Outré, à bout, il me fallut un effort immense pour identifier des parties extrêmes de mon être  quelques fragments de mansuétude et, au prix d'une concentration surhumaine les faire converger vers mon cœur sec puis prendre la main que le cuistre, agenouillé devant nous, bredouillant de honte, me tendait, et dé-serrer ma mâchoire pour laisser échapper un "it's ok" que je ne pût parvenir à exempter de mépris.

Une fois gagnés toutes les bouilloires, sèche-cheveux, i-pad et autres i-phones et chaque département ayant fait part de ses talents, nous pûmes enfin nous sauver, donnant tout pour garder le sourire jusqu'à la sortie et promettant de ne pas
manquer la fois prochaine.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre contribution, votre avis est apprécié.

Maxal Bangladesh ltd