lundi 27 juillet 2009

Cauchemard à Savar

La saison des pluies était maintenant bien entamée. En fait, il n'avait pas beaucoup plu pour l'instant, mais la moiteur insupportable de l'air infligeait à Jack et Irina des suées auxquelles ils n'étaient plus habitués. Ces chaleurs étouffantes, combattues dans les bureaux à coups de climatisation, étaient la cause de pannes électriques fréquentes.
Maintes fois, Jack se retrouvait ruisselant devant ses tableaux croisés dynamiques.
Le soir venu, la pratique du flutiau était devenu un véritable calvaire, et Irina elle-même faisait ces temps-ci grise mine en découvrant le soir l'homme qu'elle aimait couvert de sueur.

D'autre part, au retour d'une brève mission de reporting au QG français de Marcq, nos deux héros s'étaient replongés dans une routine qui commençait à leur peser.

Ils avaient rencontré, peu de temps auparavant une jeune garçon nommé Trévor leur ayant fait forte impression.
Ce jeune ingénieur encore bercé d'illusions s'était vu proposer un contrat de type "vient bosser là que j'te paye pas" par un espèce d'hurluberlu qui était tombé amoureux du Bangladesh (c'est dire !) où il avait eu la riche idée d'y emmener des péniches pour faire des hopitaux.
Non content de se livrer à des activités inimaginables à but non-lucratif (comprenez bien qu'il avait rapporté les péniches en personne, de France et par voie de mer), cet énergumène souhaitait désormais vendre aux pêcheurs Bangladais (comprenons-nous bien, ces gens n'ont pas le moindre argent) des bateaux en fibre de verre afin de remplacer une flotte exclusivement construite en bois.

Rassurez-vous, si je parle autant d'argent, ce n'est qu'une déformation professionnelle.

Bref, Trévor, fleuron du système d'enseignement Français était venu dans un pays voué à disparaître sous les eaux, dispenser ses connaissances à une bande de charpentiers analphabètes. (D'un autre côté, vu de ce côté là, c'est pas si bête).

Le voilà donc le nez au vent et l'estomac dans les talons qui débarque un soir à Dhaka. Nos héros, mus par une générosité fraternelle sans limites, accueillirent le drôle dans leur cache, après l'avoir copieusement arrosé lors d'un dîner d'infiltration au club Teuton.

De fil en aiguille, il leur fit part de ses conditions de vie.

Pour être plus prêt du chantier, il avait renoncé aux conditions de rêve qu'offre Dhaka pour aller dans sa banlieue, Savar, vivre sur un rafiot pourrissant le long des berges d'un fleuve au nom alambiqué. Là, tel un ermite, il s'était aménagé une paillasse, un réchaud connecté à un câble venant de nulle part, et un garde-manger. Ce dernier élément devant résister à la fois aux rats, au blattes, aux fourmis et au pourrissement, il dut déployer un trésor d'ingéniosité, qui aboutit finalement à la procuration d'une boîte en fer blanc. Il surprit également Irina en lui dévoilant une écorce de noix de coco percée lui permettant de se laver les mains.

Car vous l'avez compris, nos héros, fatigué des klaxons de "la vilaine", avaient décidé un beau matin d'aller passer leur congé à la campagne, et c'est chez leur nouvel ami qu'ils se rendirent.

Négligeant la facilité des voitures de fonction, par ailleurs réservées à leur activité professionnelle, Jack et Irina prirent le bus. Le voyage d'une heure et demie fut long et humide, mais pour une fois, il n'y avait pas de sale gosse qui chiale à s'en péter les cordes vocales.
Non, au lieu de ça, des usagers Bangladechois ahuris par la présence d'étrangers épiaient nos héros sans en avoir l'air.

Ayant eu la maladresse d'engager la conversation avec l'un d'entre eux, Jack fut acculé à donner un faux numéro à un quidam qui croyait en lui parlant avoir rencontré la fortune ; l'extrême pauvreté poussant la gent à vous appeler sans arrêt pour ne rien vous dire, chacun cherchant en vain une opportunité professionnelle qui pourrait le tirer de son bourbier, et percevant chez Jack et Irina l'irradiation grisante de la lointaine nébuleuse des pays riches.

Quand Jack et Irina arrivèrent sur place, il pleuvait. Trévor accouru à leur rencontre et les mena par des chemins inondés jusqu'au chantier naval. De là, il prirent une barque et se rendirent de l'autre côté de la rivière.



Après un repas sommaire, Trévor et Jack, adeptes de sensations fortes, se livrèrent à un concours de sauts pour le moins périlleux.




Puis un tour de reconnaissance sur le fleuve leur permis de réaliser à quel point la présence de Trévor intriguait les indigènes. Ceux-ci, feignant la promenade anodine, fouinaient en réalité autour du bateau en quête de commérages sur la vie de ce curieux individu.



L'après-midi aurait pu être totalement ressourçant si nos amis n'avaient été confrontés au dénigrement total de la profession d'ingénieur du son.

Le vendredi étant chômé, c'est jour de fête. Sur le fleuve, on organise des virées en bateau mouche.

Ainsi, toutes les demi-heures passaient des bateaux de plaisance exclusivement chargés de spécimens masculins surexcités se livrant à des danses exutoires dignes des plus grands clubs Parisiens. Le spectacle eut été cocasse si les bateaux, surgissant d'un bras de la rivière ne poussaient le son jusqu'à rendre la musique tout à fait inaudible, faisant fi d'effets larsen et de saturation propres à rendre unijambiste un manchot.

A l'issu d'une après midi changeant somme toute de la monotonie du quartier expatrié, nos amis laissèrent Trévor à ses blattes et retrouvèrent leurs pénates après s'être tapé la route en sens inverse.

Toutes les photos ; Cliquez ici

Maxal Bangladesh ltd